FANTASTIQUE ⑴

C'est vers 1825, après succès incontesté des Contes d'Hoffmann, que le fantastique s'est constitué comme genre littéraire. Le mot devint alors une formule magique destinée à recouvrir les produits les plus divers. Après avoir signifié au XVIe siècle «visionnaire, nourri de chimères », il prit le sens particulier de « en rapport avec les revenants, les esprits et les démons ». Au XXe siècle, la notion s'élargit : elle ne s'applique pas seulement à ce qui vient de l'au-delà, à ce qui est surnaturel, mais à tout ce que contredisent l'expérience et les principes rationnels, à ce qui introduit un autre ordre, une autre dimension. Le fantastique a partie liée avec la difficulté d'être l'angoisse, la peur devant l'inconnu. Ce sont moins les fantômes que nous redoutons maintenant que nos démons intérieurs. La littérature fantastique en les mettant au grand jour, essaie de nous exorciser. Elle ne nous incite pas à fuir le réel, à nous réfugier dans des paradis artificiels et arbitraires, mais, après avoir dénombré et défini les monstres qui nous menacent, elle nous aide à surmonter notre peur. Elle proteste contre la situation faite à l'homme dans l'univers de la technique, qui exclut la passion, le risque et l'aventure et qui pourtant l'expose à des risques majeurs.

Les surréalistes ont considéré que la première réussite du roman fantastique était le Château d'Otrante (1764) d'Horace Walpole. « Apparition de l'objet comme héros, apparition de l'image concrète, totale. la poésie s'accommode de l'absence de conflits. Une négation supérieure. Tout est comparable à tout. Et, dans la cour du château. cet « enfant écrasé et presque enseveli sous un gigantesque heaume, cent fois plus grand qu'aucun casque jamais fait pour un être humain et couvert d'une quantité proportionnée de plumes noires ». c'est déjà la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie » (Paul Eluard). On trouve aussi des éléments fantastiques dans Vathek (1782), de William Beckford (le palais souterrain d'Eblis où les damnés ont une poitrine de cristal au travers de laquelle se voit leur cœur brûlant dans les flammes), dans les romans noirs anglais, dans le Moine (1796), de Matthew Gregory Lewis, où le moine subit une terreur surnaturelle et un châtiment qui ne l'est pas moins, et surtout dans Melmoth ou l'homme errant (1820), de Charles Robert Maturin, où brillent l'horreur sacrée et le soleil noir de la poésie luciférienne.

Un bref roman, plus tempéré, le Diable amoureux (1772), de Jacques Cazotte, pose les principes du conte fantastique : réalité ou rêve? vérité ou illusion? Don Alvare vit avec un être féminin venant d'un autre monde. Il craint que ce ne soit en fait le diable ou l'un de ses suppôts. Mais comme on lui a enseigné que les démons, les vampires, les incubes n'existent pas, il faut donc que j'aie rêvé, se dit-il. Il se refuse à admettre l'inadmissible, que cautionnent pourtant les éléments réels qui constituent son histoire.

HOFFMANN.

Le Manuscrit trouvé à Saragosse (1804-05) raconte une aventure semblable, à cela près que le démon femelle se dédouble (ce sont deux sœurs qui bernent don Alphonse) et que les péripéties actuelles ne font que répéter celles qui sont relatées dans une chronique ancienne, de sorte qu'un jeu de miroirs, renvoyant les images entre jadis et aujourd'hui, entre la réalité et la fiction, entre la supercherie et la vérité, entretient le lecteur dans un état de doute. L'auteur du Manuscrit, le comte Jan Potocki, lui laisse le choix de l'interprétation dernière; il lui fait entendre pourtant que don Alphonse est la victime d'une puissance astrale. A signaler le film polonais de Wojciech Has sorti sur les écrans en 1964 et qui reproduit fidèlement les aventures épiques et surnaturelles d'un chevalier.

Délaissant ces jeux et prenant franchement le parti du fantastique psychologique ou intérieur, Hoffmann, explore avec méthode les terres encore inconnues au début du XIXe siècle. Les nombreux artistes qu'il décrit dans son œuvre lui ressemblent et se ressemblent; ils représentent l'homo fantastirus moderne, l'homme qui souffre à cause de sa condition et des lois de la société, qui souffre plus encore à cause de sa propre énigme et des contradictions qui le déchirent. de sorte que sa dualité innée menace sans cesse de devenir dédoublement, schizophrénie. folie. Hoffmann, éclairé par son ami le médecin D. F. Koreff sur le mesmérisme, la psychopathologie et les plus récentes découvertes du magnétisme animal, nous enseigne le moyen, sinon de guérir, du moins de composer avec le mal. En allant le plus loin possible dans la connaissance de soi, il apporte remède à ce qui nous divise et nous tourmente.

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