IPHIGÉNIE À AULIS

Euripide reprit le sujet d'Iphigénie dans une autre tragédie : Iphigénie en Aulide. Ce fut sa dernière oeuvre : laissée, croit-on, inachevée, elle fut terminée et représentée après sa mort. Il n'est pas certain que l'épilogue soit d'Euripide. La tragédie met en scène le mythe du sacrifice d'Iphigénie.

PROTAGONISTES

La scène se passe à Aulis, devant la tente d'Agamemnon.

RESUMÉ

La flotte des Achéens est en Aulide devant Eubée, prête à partir pour Troie. Mais les vents s'opposent mystérieusement à la navigation. La cause en est dévoilée par le devin Calchas : la déesse Artémis exige, pour rendre la liberté eut navires, qu'auparavant lui soit sacrifiée la fille d'Agamemnon, Iphigénie. Alors que dans les tragédies antérieures, par exemple l'Agamemnon d'Eschyle, il était simplement fait allusion à l'angoisse d'Agamemnon devant le sacrifice imposé, Ici la tragédie s'ouvre sur les plaintes déchirantes du malheureux père. Ainsi que le roi le raconte lui-même à un vieil esclave, après avoir vainement tenté d'empêcher l'expédition, il a résolu de faire venir sa fille en compagnie de sa mère Clytemnestre, sous le prétexte de célébrer les noces de la jeune fille avec Achille qui n'est pas au courant.

« Vous aviez formé, ô Agamemnon! une entreprise bien dangereuse. Quoi! vous empruntiez le nom du fils d'une déesse pour conduire à la mort votre fille! Achille vous servait de prétexte pour amener aux Grecs leur victime! »

Mais accablé de remords, il est revenu sur sa décision. Dans un autre message à Clytemnestre, il lui dévoile toute la vérité et l'adjure de ne pas venir. Le vieil esclave, chargé du message, doit se porter au devant du char de la reine et lui faire rebrousser chemin. Cette tentative n'aboutit pas. Ménélas en effet, qui tient avant tout à l'expédition contre Troie, a pu ravir son message au vieil esclave et du coup reproche âprement à son frère sa trahison. Agamemnon s'obstine dans son refus ; Ménélas, déjà, en vient aux menaces (la discussion entre les deux frères. réaliste, cynique et sentencieuse, est tout à fait dans la manière d'Euripide), quand survient un messager annonçant que Clytemnestre avec Iphigénie et le petit Oreste viennent d'arriver dans le camp : tout le peuple les a vus et est en liesse. L'angoisse renaît plus forte dans le coeur d'Agamemnon. Maintenant que toute l'armée a vu Iphigénie, que fera-t-il quand Calchas dévoilera l'ordre de la déesse et qu'Ulysse excitera le peuple contre lui ? Accablé d'angoisse, il se résigne à obéir à la déesse : cela, au moment où Ménélas, touché par sa douleur, l'exhorte à renvoyer la jeune fille et à renoncer à l'expédition. Il propose même de supprimer Calchas. Dans la peinture de ces mouvements de l'âme, l'intuition psychologique aiguë, froide et réaliste, d'Euripide est particulièrement heureuse.

« J'abjure le ressentiment et la haine qui m'ont dicté des discours imprudents: aimer un frère est mon bonheur et mon devoir. Je me suis repenti de l'avoir oublié; mais un cœur honnête revient toujours à la vertu. »

Voici, joyeusement saluées par le choeur, Clytemnestre et Iphigénie. Clytemnestre songe au bonheur nuptial de sa fille ; Iphigénie n'ose pas parler de mariage, mais se montre très tendre avec son Père. A chacune de ses paroles, Agamemnon sent son coeur se déchirer un peu plus. Il congédie sa fille et, s'engageant sur la voie du mensonge avec la résolution des faibles, il apaise l'inquiétude de Clytemnestre au sujet du futur époux de leur fille. Après que le choeur ait chanté l'imminente guerre troyenne, sans faire allusion aux sentiments qui déterminent l'action, Achille apparaît sur le seuil de la tente d'Agamemnon, exigeant un prompt départ pour la guerre et rapporte l'impatience des guerriers.

« Achille, que faisons-nous ici? Combien de temps faudra-t-il perdre encore dans les apprêts du voyage? Si vous voulez partir, partez donc promptement, ou bien renvoyez-nous dans notre patrie, sans vous asservir plus longtemps aux lenteurs des Atrides. »

Achille se trouve alors en présence de Clytemnestre qui, toute heureuse, le salue comme son futur gendre, à sa grande stupéfaction. Mais le vieil esclave, auquel Agamemnon avait remis le message pour Clytemnestre, a surpris ce conversation. Il dévoile que le mariage est une supercherie pour attirer la jeune fille et la faire périr. Hors d'elle, Clytemnestre conjure Achille de l'aider à empêcher l'horrible méfait. Tout à la fois plein de commisération et offensé dans son honneur par l'abus que l'on a fait de son nom, Achille affirme qu'il défendra la jeune fille, même par la force, si Clytemnestre ne réussit pas à convaincre Agamemnon.

« Je n'ai pas besoin qu'on me supplie pour être juste. Mon devoir est de vous sauver. Je jure de combattre ou de périr pour vous : si je vous abandonne, que le ciel me foudroie! Ce serment est pour vous le gage le plus sûr de ma fidélité. »

Achille conseille à la reine de se montrer digne de sa naissance en tentant d'abord de ressoudre le problème par elle-même, lui n'interviendra qu'en dernier ressort. La reine obeit .

« Commandez, j'obéis. S'il y a des dieux, votre vertu trouvera sa récompense; et s'il n'y en a pas, à quoi sert la vertu ? »

Après une pause durant laquelle le choeur rappelle l'union glorieuse de Pélée et de Thétis, dont naquit Achille, pour faire contraste avec les noces de mort qui sont sur le point d'être célébrées Clytemnestre a dévoilé à sa fille le triste sort qui l'attend. Toutes deux vont tenter de persuader Agamemnon : la mère avec des raisonnements et des menaces (dans le sacrifice d'Iphigénie, on voit poindre la haine de Clytemnestre pour Agamemnon), la fille avec l'expression naïve de son attachement à la vie, avec sa tendresse et ses pleurs. Mais quoique déchiré jusqu'au fond de l'âme, Agamemnon résiste à leurs prières. Il ne peut, affirme-t-il, interrompre maintenant l'expédition destinée à confondre l'insolence des Troyens. S'il le tentait, Il provoquerait une révolte sans parvenir à empêcher le sacrifice de sa fille. Iphigénie se lamente à la fois sur son destin et la faiblesse infinie des mortels.

« Je résume ma prière en ce seul mot, plus fort que tout ce qu’on pourrait dire : la lumière est bien douce à voir, la nuit souterraine ne l’est pas. Insensé qui souhaite de mourir! Mieux vaut une misérable vie qu’une mort glorieuse. »
Sacrifice d'Iphigénie
Felice TORELLI

Les raisons invoquées par Agamemnon ne sont, hélas, que trop vraies. Achille annonce que tout le camp, et ses propres Myrmidons eux-mêmes, excités par Ulysse, sont en effervescence, dans la crainte que le sacrifice libérateur ne s'accomplisse pas. Comme il a montré son opposition, peu s'en est fallu qu'il n'ait été lapidé. Quoi qu'il advienne, il se dit prêt à résister comme il l'a promis à Clytemnestre.

A. Mais les clameurs du peuple étouffaient ma voix.
C. Quel fléau que le peuple!
A. Ne craignez rien: me voilà pour vous secourir.
C. Quoi! seul contre une armée?

Alors – et c'est le moment le plus célèbre, le plus discuté et le plus romantique du drame – Iphigénie, ayant écouté en silence les paroles d'Achille, comprend que son sacrifice est inéluctable. Elle se déclare prête à mourir. Ni les admonestations d'Achille, ni les larmes de sa mère n'ébranlent sa résolution. Elle se prépare au sacrifice, consciente d'agir pour le bien de la Grèce, fière d'être la protectrice de sa cité.

Ma mort affranchit ma patrie de ces indignes craintes, et mon nom volera de bouche en bouche : l'honneur d'avoir délivré la Grèce immortalisera ma mémoire.

Après un chant du choeur, survient un messager (peut-être une partie ajoutée ultérieurement) qui narre le prodige qui s'est accompli au moment de l'immolation. Alors que le coup fatal allait être porté à la victime, celle-ci a disparu et l'on a vu une biche à sa place. La déesse Artémis a voulu sauver l'héroïque jeune fille.

Présent au sacrifice, et témoin fidèle de ce qui s'est passé à ma vue, j'ose assurer que votre fille a été enlevée dans le séjour des dieux. O reine, séchez donc vos larmes, pardonnez à votre époux: les mortels ne peuvent prévoir les coups que leur réserve la puissance divine; les dieux sauvent ceux qu'ils chérissent; le même jour a vu votre fille livrée à la mort, et rendue à la vie.

ANALYSE

Euripide, a réussi une description très vivante de l'ancien rite barbare du sacrifice humain offert en holocauste. Il envisage tout autrement que ses prédécesseurs la question de savoir comment la divinité pouvait désirer pareil sacrifice. Etait-il possible de pénétrer le mystère de la volonté divine ? S'il n'exprime pas toute sa pensée, il apparaît pourtant nettement que pour lui, seules de troubles superstitions au service d'égoïsmes brutaux ont pu rendre possibles ces rites sanglants. Mais, ayant accepté ce fait comme une conséquence naturelle de la perversité et de la misère humaines, il en a montré les réactions sur la sensibilité de ses personnages si vivants et attachants : Agamemnon, Ménélas, Achille, Clytemnestre, et surtout Iphigénie. En cette dernière, le thème, cher à Euripide, de l'héroïsme juvénile contrastant avec un monde de faiblesse et de vilenie est développé avec une poésie profonde. Avec sa dernière tragédie, Euripide a retrouvé dans toute sa pureté l'inspiration qui lui avait fait créer la figure d'Alceste.

– T.F. Garnier, 1935.
Les citations sont extraites de la traduction de Geoffroy.

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