BACCHANTES

La tragédie d’Euripide, né à Salamine vers 480 et mort en Macédoine en 406 avant notre ère, a été écrite dans la dernière année de vie du tragédien alors qu’il était l’hôte d’Archélaos roi de Macédoine.

RESUME.

Bacchante (1894) par W. BOUGUEREAU

L’action se passe à Thèbes où vit encore le vieux roi Cadmos qui a cédé le pouvoir à son petit-fils. Penthée, fils de sa fille Agavé. Les faits antérieurs au drame sont racontés dans le prologue par le dieu Dionysos qui, issu de l'union entre Zeus et Sémélé, une des filles de Cadmos, exprime son intention d'implanter en Grèce sa religion orgiaque et extatique, en commençant justement par Thèbes, patrie de sa mère. Dionysos a jusqu'à ce moment enflammé par son charme les femmes de Thèbes, parmi lesquelles se trouve Agavé, mère de Penthée, dans le dessein de les Punir des soupçons qu'elles avaient formulés à l'égard de sa mère Sémélé, au moment de la naissance du Dieu. Dionysos va attaquer la ville et la détruire, en se mettant à la tête d'un groupe de femmes qu'il a emmenées de Lydie (les Bacchantes). Le chœur des Bacchantes entre sur scène, et loue la puissance exaltante et terrible de ce dieu, en invitant les Thébains à célébrer les orgies dionysiaques. Le dieu a déjà remporté dans cette ville ses premières victoires le vieux prophète Tirésias et le roi Cadmos entrent à leur tour, déguisé en Bacchantes, couronnés de lierre et résolus à gravir le mont Cithéron, pour y célébrer les orgies de Dionysos. Les autres citoyens résistent, encouragés par le jeune roi Penthée qui s'insurge contre le ton effréné et licencieux de ce nouveau culte. Penthée, en personne, essaie d'empêcher que les deux vieillards participent aux mystères bachiques. Dionysos n'est pour lui qu'un charlatan criminel en train de corrompre la cité. Un serviteur arrive, annonçant à Penthée que, selon ses ordres, l'étranger Dionysos a été jeté en prison. Le serviteur obéit à son maitre, mais il redoute toutefois le pouvoir de l'étranger qui se manifeste dans tous ses gestes et dans les prodiges qui éclatent partout où il passe. Cet homme blond, jeune, à la beauté féminine, n'a pas résisté aux gardes de Penthée et il a même tendu en riant ses poignets, pour se laisser garrotter. Dans sa douceur même, son sourire a paru sinistre au serviteur effrayé. Puis les liens dont, sur les ordres de Penthée, on avait garrotté le chœur des Bacchantes, se sont déliés tout seuls les portes de la prison se sont ouvertes, et les femmes se sont enfuies. Au cours d'un dialogue véhément entre Penthée et Dionysos, ce dieu ne révèle pas son identité : il affirme seulement avoir été envoyé par Dionysos pour diffuser son culte. Il demeure calme, souriant, enveloppé de son mystérieux et divin sourire, en face de la colère de plus en plus violente de Penthée. Ce dernier le fait emmener une fois de plus en prison. Le chœur blâme Thèbes, parce qu'elle ne veut pas accueillir le dieu qu'elle devrait vénérer entre tous : car il a été conçu par une femme thébaine et il a été plongé, encore enfant, dans la source Dircé.

Le chant du chœur vient à peine de s'achever lorsque résonne, à l'intérieur du palais de Penthée, un cri déchirant. Le dieu lui-même appelle ses Bacchantes et annonce ainsi sa présence. Au cours d'une scène au lyrisme puissant et terrible, nous assistons à la révélation du dieu, au début de sa victoire et à la punition de Penthée. La terre tremble, le faite du palais vacille, et de l'intérieur parvient un bruit de murailles qui s'écroulent. Une flamme se forme sur le tombeau de Sémélé. Les Bacchantes, tremblantes, se laissent tomber à terre. Dionysos, sans dévoiler encore son nom, apparaît, réconforte les Bacchantes et raconte comment il a trompé Penthée qui vient d'enchaîner un taureau, en ayant l'illusion d'avoir mis dans les fers le dieu lui-même ! Au cours du tremblement de terre et de l'incendie du palais, l'étranger a disparu. Lorsque Penthée sort du palais, étonné de la fuite de son prisonnier, il le voit apparaître devant lui. Cependant un berger, qui a aperçu les Bacchantes célébrer les mystères au sommet des montagnes, affirme n'avoir assisté à aucune action déréglée, mais seulement à des prodiges. Des femmes donnaient le sein aux louveteaux, tandis que d'autres frappaient le sol faisant jaillir de l'eau ou, de leurs doigts, creusaient dans la terre des sources de vin et de lait. Puis en apercevant que des hommes les regardaient, elles s'étaient précipitées sur les troupeaux et, poussées par une force prodigieuse, avaient mis en pièces le bétail. Elles s'étaient ensuite jetées sur les campagnes environnantes sans que personne pût résister à leur fureur. Il faut que Penthée se soumette au dieu capable d'accomplir de tels prodiges !

Penthée toutefois est décidé à recourir quand même aux armes avant d'essayer quoi que ce soit de nouveau, il accepte l'invitation de l'étranger qui lui propose de l'emmener surprendre les Bacchantes et leurs mystères. Le jeune roi n'a pas compris que sa fin horrible vient de commencer. Habillé en Bacchante, pour ne pas être reconnu des femmes, il est désormais en proie à une légère ivresse, et à la merci du dieu qui crie son triomphe aux Bacchantes. Cette scène est peut-être la plus significative et la plus puissante de toute la tragédie. Le misérable être humain est désormais le jouet du dieu cruel qui s'amuse avec lui et le trompe, le flatte, en lui promettant, avec une sinistre ironie, la victoire et la joie. Un chant choral au rythme libre et rapide, où semble résonner un cri de joie sauvage pour le supplice imminent et fatal de Penthée, prépare les esprits à la mort du malheureux roi le récit de sa lin est fait, quelques instants après, par un messager. Penthée et l'étranger arrivent au sommet de la montagne, et ce dernier en courbant un sapin jusqu'à terre, avec une force prodigieuse, y fait monter Penthée, puis disparait. Tout de suite après retentit la voix du dieu exhortant les Bacchantes à se venger de leur ennemi. Dans l'immense silence de la nature, le cri du dieu se renouvelle... Les Bacchantes se jettent sur Penthée et, pliant l'arbre jusqu'à terre, se ruent sur lui et le mettent en pièces. Le malheureux, recouvrant ses sens, reconnaît parmi les premières Bacchantes. Agavé, sa mère, et la supplie en vain de l'épargner. Un court chant du chœur exalte Bacchus : puis Agavé en personne apparaît, serrant entre ses bras la tête de son fils, qu'elle s'imagine être un lionceau tué. Elle invite chacun à participer à sa joie et exige que son fils aussi vienne Près d'elle. Même le chœur des Bacchantes frémit. Cadmos essaie de faire comprendre à Agavé son horrible malheur. Soudain, la mère recouvre sa conscience (Il s'agit d'une autre punition de Dionysos, selon laquelle l'infortunée doit expier toute sa peine), et elle pleure sur son sort affreux.

Après la lamentation d'Agavé (qui dans la tradition manuscrite a été égarée), apparaît Dionysos sous son véritable aspect divin, dévoilant à tous le sens de ses gestes. Il a voulu punir non seulement Penthée, mais aussi tous ceux qui avaient soupçonné sa mère et qui s'étaient refusés à le reconnaître immédiatement. Agavé et ses sœurs devront par la suite payer leur faute par l'exil. Cadmos souffrira encore beaucoup jusqu'à ce que, transformé en serpent, il trouve enfin la paix

ANALYSE.

Cette tragédie de la vieillesse d'Euripide est peut-être, comme a dit Goethe, la plus belle du dramaturge. Complexe, riche en thèmes différents, elle a plus d'unité que tous les autres drames d'Euripide : elle a été conçue d'un seul trait et avec un crescendo de scènes d'une horreur inoubliable. Il s'agit de la tragédie de la faiblesse humaine en face d'une divinité cruelle et mystérieuse. Dionysos n'est pas une divinité à l'existence de laquelle Euripide, en sa qualité d'homme et de penseur, pût croire. Il n'y a ici aucune conversion du poète, contrairement à ce qu'on a pensé pendant longtemps. La sympathie du dramaturge est toujours tournée vers Penthée, c'est-à-dire vers la raison qui s'oppose au mystère barbare. Mais cette fois-ci, le poète ressent profondément (et non pas, comme dans certaines de ses tragédies, seulement sous l'aspect d'une possibilité abstraite de la pensée) la vie et la puissance de ce qu'il repousse : le charme de l'extase dionysiaque au sein de laquelle on oublie la douleur infinie de l'existence, la volupté de communier avec les forces et la beauté de la nature. La grandeur du drame est due en grande partie au contraste entre ces deux aspects de la vie, et c'est là qu'il faut rechercher la raison de l'admirable fusion de l'élément lyrique avec le développement dramatique, chose rare chez Euripide.

— T.F. Leconte de Lisle. Le Livre d'art, 1948.

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